Programme interdisciplinaire
« Origine de lHomme, du Langage et
des Langues »
L'accumulation rapide de nouvelles
données et d'hypothèses audacieuses dans les domaines de la génétique,
de l'archéologie et de la linguistique ont permis, au cours de ces
dernières décennies, de jeter un regard nouveau sur l'origine et le
développement de la communication humaine. L'étude de l'origine des
langues n'est plus une question taboue et l'hypothèse d'une seule
langue-mère à l'origine de toutes les langues du monde est à nouveau
envisagée. Les 5000 à 6000 langues actuellement parlées dans le monde
pourraient toutes être des descendantes d'une seule langue ancestrale.
Les recherches en génétique des populations (qui ont adapté leurs
modèles à l'évolution moléculaire par l'approche mathématique de la
"coalescence"), suggérant qu'un "goulet d'étranglement"
démographique s'est produit à une époque correspondant ou non à la
"sortie d'Afrique" des hommes anatomiquement modernes, offrent
une hypothèse extrêmement intéressante pour les linguistes. L'expansion
des langues aurait suivi l'évolution d'Homo sapiens à travers les
âges et à travers la planète.
Pendant la plus grande partie du
XXème siècle, l'archéologie, la linguistique et la génétique
des populations ont suivi des voies séparées, chacune visant ses propres
objectifs, développant ses propres méthodes et aboutissant à ses propres
résultats. Un effort important a été accompli durant la dernière décennie
dans les pays anglo-saxons pour intégrer les connaissances de ces
trois disciplines, et l'archéologue britannique Colin Renfrew a désigné
du nom de nouvelle synthèse cet intense effort de coopération. Les
progrès accomplis aujourd'hui dans ce domaine dépassent ceux de tout
le siècle précédent.
Des recherches menées conjointement
par des généticiens et des linguistes (Cavalli-Sforza, Greenberg,
Ruhlen à l'Université de Stanford par exemple) ont ainsi montré, ces
dernières années, que les apparentements génétiques des populations
étaient proches des relations qui peuvent exister entre les langues
du monde. Il existe, en effet, des corrélations significatives entre
les distributions linguistique et biologique dans de nombreuses régions
du monde (Afrique, Europe, Chine
).
Il en résulte, dans le domaine
proprement linguistique, de nouvelles propositions sur la typologie
et la classification des langues. Les cadres élaborés à la fin du
XVIIIème et au début du XIXème siècle par les
comparatistes de la grande aventure indo-européenne ont littéralement
éclaté. Diverses hypothèses de super-familles (eurasiatique, déné-caucasien,
nostratique, nilo-saharien, amérinde, indo-pacifique, austrique) ont
été formulées, et l'indo-européen lui-même, ainsi que les langues
altaïques, par exemple, pourraient n'être finalement que des branches
rattachées à une super-famille qui regrouperait des langues apparemment
aussi différentes que le français, le turc ou le mandchou.
Force est de reconnaître,
cependant, que la France n'a pas -ou peu- participé à cette "nouvelle
synthèse" interdisciplinaire.
Le but de ce programme "Origine
de l'Homme, du Langage et des Langues" est de croiser les recherches
menées dans le cadre de disciplines diverses au sein du Département
des Sciences de l'Homme et de la Société du CNRS (notamment la linguistique,
l'anthropologie biologique, la paléoanthropologie, l'archéologie)
mais aussi et surtout avec celles menées dans certaines disciplines
du Département des Sciences de la Vie. Les expertises de chercheurs
en neurosciences, génétique moléculaire et génétique des populations
constitueront ainsi l'une des clefs de voute de ces recherches.
LISTE
DES AXES THÉMATIQUES
Les thématiques proposées, considérées
comme prioritaires, concernent pour l'essentiel la période qui s'étend
de moins 100.000 (date présumée de l'origine du langage) à moins 10.000
ans (profondeur historique maximale des proto-langues actuellement
reconstruites) afin de cibler les recherches menées dans le cadre
de cet appel d'offres sur la période "critique" de l'émergence
et de l'évolution du langage humain. Ces thématiques sont regroupées
en quatre axes :
·
1. Langues et gènes
- 1.1. Comparaison
entre les regroupements des populations à partir de marqueurs génétiques
et les classifications des langues. Il s'agit d'évaluer et d'affiner
les propositions qui ont été faites sur les corrélations significatives
entre les classifications linguistique et génétique sur l'ensemble
de la planète. Construction de modèles de reconstructions phylogénétiques
prenant en compte les particularités constitutives de l'évolution
des langues (par ex. vitesse des changements (analogie avec les mutations),
rôle des emprunts (analogie avec les flux géniques, évolution réticulée)).
Tester la congruence en phylogénie, estimer la puissance et la robustesse
de ces tests, application aux données concernant l'évolution et la
diversification de l'espèce humaine : données génétiques versus
données morphologiques, données sur l'ADN mitochondrial et le chromosome
Y.
- 1.2. Polygenèse
et monogenèse du langage. Evaluation des hypothèses du "berceau
africain" (foyer unique des Homo sapiens en Afrique) vs. "modèle
d'évolution multi-régionale" (à partir des populations d'Homo
erectus existant déjà en Eurasie) et de leur lien avec les hypothèses
concurrentes sur une origine unique du langage ou non.
·
2. Langage et archéologie/paléoanthropologie
- 2.1. Données
paléontologiques et/ou archéologiques et systèmes de communication.
Recherches des systèmes de communication et d'échanges minimaux permettant
de rendre compte des données de l'archéologie préhistorique (outils,
sépultures, peintures, systèmes de notations paléolithiques, domestication
des plantes et des animaux).
- 2.2. Système
de communication chez les Néandertal et les premiers hommes anatomiquement
modernes. Evaluation de leurs capacités physiologiques (production
de la parole) et cognitives (chaînes opératoires, utilisation de l'espace
et des ressources).
- 2.3. Confrontation
des données archéologiques et linguistiques pour la période post-paléolithique
(en particulier sur le pré-indo-européen).
·
3. Langage et esprit/cerveau
- 3.1. Evolution
et développement du cerveau (embryologie, génétique moléculaire) et
des structures anatomiques impliquées dans le langage. Neurophysiologie
du mimétisme (pertinence pour la faculté du langage).
- 3.2. Langage
humain vs. communication animale. Comparaison des capacités cognitives
des primates non humains et humains. Spécificité de la communication
humaine.
- 3.3. Universaux
et Proto-langues. Mise en évidence des structures et des processus
(e.g. phonologisation, grammaticalisation) communs à l'ensemble (ou
à la très grosse majorité) des langues (universaux/tendances universelles)
à partir de la comparaison des systèmes linguistiques et des processus
d'évolution reconstruits. Mise en relation de la stabilité de ces
structures avec les processus de traitement du langage par le cerveau.
- 3.4. Evolution
et acquisition. Mise en parallèle et comparaison des processus d'acquisition
du langage chez l'enfant et des processus d'évolution du langage.
·
4. Langage et groupes sociaux
- 4.1. Origine
sociale du langage. Recherches sur l'importance de l'utilisation du
langage comme système de gestion des liens sociaux. Evolution des
langues en fonction de la taille des populations et du paléo-environnement
(modélisation spatio-temporelle).
- 4.2. Le langage
comme système adaptatif complexe. Application du concept d'auto-organisation
à l'évolution des langues.
LISTE
DES DISCIPLINES CONCERNÉES
-
Linguistique (linguistique historique et typologie, psycholinguistique)
-
Archéologie et anthropologie biologique (Homo sapiens
et Néandertal)
-
Génétique (génétique du développement, génétique des populations
et ADN ancien)
-
Paléodémographie (effectifs des populations)
-
Neurosciences (évolution du cerveau, neurophysiologie
du mimétisme)
-
Ethologie (communication chez les primates non humains)
-
Modélisation informatique (systèmes adaptatifs complexes,
émergence du langage, modèles spatio-temporels)
BUDGET
- Le but de cette action est de
permettre la convergence, sur des thématiques précises, de compétences
disponibles dans différentes disciplines.
Les financements qui seront attribués sont, par conséquent, destinés
à permettre la mise en place de
réseaux et de collaborations transdisciplinaires. Dans cette optique,
une priorité a été donnée aux projets
émanant d'équipes de chercheurs de disciplines différentes
ou permettant la mise en place d'une ou de plusieurs
collaborations internationales.
- Les projets retenus seront financés sur une durée de
4 ans et soumis à une évaluation annuelle.
- Les budgets alloués et la composition des équipes pourront
être revus annuellement.
- 20% du budget sera réservé au financement de projets
qui pourront être en dehors des thématiques annoncées.
- Le budget de ce programme s'élèvera à
915 000 € pour l'année 2002.
COMITÉ
DE PILOTAGE
Le responsable de ce programme
interdisciplinaire est Jean-Marie Hombert, Professeur à l'Université
de Lyon 2, Directeur du Laboratoire "Dynamique du Langage"
(UMR 5596)
Outre Jean-Marie Hombert, le Comité
de pilotage comprend :
- Pierre Darlu, DR au CNRS (Unité 535,
INSERM) (phylogénétique)
- Henri Duday, DR au CNRS (UMR 5809) (paléoanthropologie)
- Catherine Hanni, CR au CNRS (UMR 5534) (génétique)
- Jean-Jacques Hublin, DR au CNRS (UMR 5809) (paléoanthropologie)
- Gérard Lenclud, DSA, Département des SHS du CNRS (anthropologie)
- Alain Peyraube, DR au CNRS, Direction de la recherche, MENRT (linguistique)
- Laurent Sagart, DR au CNRS (UMR 8563) (linguistique)
- Jacques Vauclair, PR, Université de Provence (neurosciences)
- Philippe Vernier,
DR au CNRS (UPR 2197) (neurosciences)
- Bernard Victorri, DR au CNRS (UMR 8094) (linguistique
et informatique)
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